Une très forte demande internationale
La raréfaction des ressources ’conventionnelles’ en énergie (pétrole) et l’augmentation de leurs coûts sont inévitables. En fin 2008, lorsque le prix du baril de pétrole a dépassé les 100 USD, le prix du gasoil est passé, au Sénégal, de 500 à 800 FCFA/litre.
Dès lors le développement des biocarburants constitue un enjeu majeur pour les acteurs du secteur de l’énergie. Entre 2004 et 2007 la production mondiale de biodiesel a été multipliée par 4 et la production de bioéthanol a doublé, pour atteindre une production totale de biocarburants de l’ordre 35 mtoe par an). Elle devrait être encore multipliée près de 4 fois d’ici 2020.
En 2008, l’Union Européenne s’est ainsi donnée comme objectif d’atteindre à l’horizon 2020 un taux d’incorporation de 10% d’énergies renouvelables (principalement biocarburants) dans les combustibles utilisés pour le transport. Cela correspond, pour cette seule région du monde, à une demande de 20 mtoe par an (ou l’équivalent de la production de plus de 50 millions d’hectares de Jatropha, sur la base d’un rendement de 1.5 t/ha).
Des risques énormes pour les pays en développement
La multiplication des projets industriels de production de ce qu’il convient plutôt de désigner comme ’agrocarburants’ présente un risque élevé d’impacts négatifs sur les sociétés rurales des pays en développement.
Le développement de la production de bioéthanol se traduit par un danger majeur pour la sécurité alimentaire et l’environnement :
- Le détournement d’usage de cultures céréalières, entraine une raréfaction de l’offre et une forte pression sur les prix des produits alimentaires : des sources variées convergent à estimer que le développement de la production de biocarburants à contribué pour plus de 30% à l’augmentation des prix des denrées alimentaires en 2008 et à la crise alimentaire qui en a résulté dans de nombreux pays ;
- L’extension des plantations de canne à sucre se fait par une déforestation massive et implique la mobilisation d’importantes ressources en eau.
Plus grave encore le développement par des groupes internationaux de plantations de Jatropha à grande échelle, pour la production de biodiesel, cible en Afrique des millions d’hectares de terres dites ’marginales’.
Très souvent si ces terres ne sont aujourd’hui pas productives c’est parce simplement les paysans pauvres n’ont pas accès aux savoirs ou aux ressources qui auraient permis de les aménager et de les mettre en valeur : on investit très peu dans la maîtrise des eaux pluviales, la gestion des sols, leur protection contre l’érosion, la formation agricole, alors que ce devraient être les priorités de toute stratégie de développement rural durable.
Ces terres constituent le seul capital dont disposent ces populations ; en s’en dépossédant, elles hypothèquent l’avenir de leurs enfants.
Union Européenne : entre sécurité énergétique et durabilité
L’objectif de l’Union Européenne est de garantir la sécurité énergétique de ses pays membres, tout en veillant à la durabilité des ressources énergétiques qu’elle mobilise. Ainsi, la directive 2009/28/EG établit que la contribution des biocarburants à la réalisation de ses objectifs (voir ci-dessus) ne sont pris en compte que si leur exploitation respecte à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union Européenne à des critères de durabilité ; elle doit notamment :
- Garantir une réduction effective des émissions de gaz à effet de serre : l’empreinte énergétique totale de la filière biocarburant doit être prise en compte, et se traduire par une réduction d’au moins 60% des émissions par rapport aux solutions actuelles ;
- Eviter des pertes de biodiversité : seuls sont acceptés les biocarburants qui ne proviennent pas d’aires protégées, de terres forestières, de zones humides
- Respecter les standards sociaux minimum des pays tiers ;
- Respecter l’environnement : éviter les consommations excessives d’eau là où elle est rare, protéger les bassins versants...
Cri d’alarme d’ActionAid : Energie et développement
Le rapport de campagne d’ActionAid, publié en février 2010, établit dès son introduction une distinction claire entre production industrielle de biocarburants (dont le rapport de l’ONG explore et dénonce tous les risques sociaux, économiques, environnementaux qu’elle représente) et initiatives locales, orientées vers l’approvisionnement en énergie des communautés rurales.
Au terme de son analyse de la situation actuelle, cette ONG demande à l’Union Européenne un moratoire à la réalisation de ses objectifs relatifs à l’utilisation des biocarburants dans les transports.
- La priorité devrait être de commencer par réduire les consommations actuelles d’énergie : une meilleure gestion du secteur des transports, et notamment une évolution des modes de déplacement, permettrait de réaliser des réductions de consommation (et d’émission de gaz à effet de serre) considérables ;
- L’Union Européenne doit mettre en place un système de contrôle strict des critères de durabilité de la production des biocarburants qu’elle utilisera ;
- Il est nécessaire de donner du temps aux pays en développement pour organiser les filières de production, sécuriser leur propre approvisionnement en énergie et maîtriser les impacts du développement de nouvelles spéculations (sécurisation du foncier, sécurité alimentaire...)
En conclusion, ActionAid affirme sa conviction que production alimentaire, animale, textile ou de biofuel (durables) peuvent très bien coexister : lorsqu’ils sont produits et consommés localement, les biocarburants contribuent à la lutte contre la faim et la pauvreté énergétique, à la maîtrise du changement climatique, à la création d’emplois et à la génération de revenus.
Mais l’échelle de leur développement ne pourra pas être celle proposée par les nations riches. La plus grande partie, si ce n’est la totalité, d’une production durable de biocarburants devrait être consommée localement et ne devrait pas être exportée.