SOCOCIM envisage de substituer près de la moitié de sa consommation de charbon par du Jatropha

Un projet de plantation 11.000 ha de Jatropha au Sénégal

SOCOCIM est une cimenterie du groupe Vicat établie à Bargny, au Sénégal, d’une capacité de production de deux millions de tonnes par an.

Après avoir testé la plantation de Jatropha sur 300 ha en 2007 et 2008, elle a élaboré un projet de plantation de Jatropha à grande échelle dont l’objet est de permettre la substitution de 40% de sa consommation de charbon par des fruits de Jatropha. Ce projet doit permettre de réduire les émissions de CO2 de SOCOCIM de 623.000 t sur les 7 premières années, et dès la 6ème année, lorsque les plantations sont en pleine production, ce sont des émissions de 162.000 tonnes de CO2 qui seraient évitées chaque année.

L’investissement total s’élèverait à 30 millions d’Euros. La vente de crédits de carbone, dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre, contribuerait à son financement pour environ 6.2 millions d’Euros, portant la rentabilité du capital investi de 6.3 à 7.6% et ramenant le temps de retour de l’investissement de 9 à 8 ans.

Cet article présente les principales caractéristiques de ce projet. Des informations qui nous invitent à être prudents dans notre appréciation de la pertinence des plantations agro-industrielles de Jatropha.

Informations disponibles

Les informations ci-dessous sont extraites du document soumis par SOCOCIM auprès de l’UNFCC et du compte-rendu de la réunion de consultation des parties prenantes, organisée le 11 juillet 2008 par le Comité National sur les Changements Climatiques (COMNAC), publié sur le site internet de RSE Sénégal.

Le projet de SOCOCIM cible la plantation de 11.000 ha de Jatropha, sur des terres ’marginales’, dans un rayon de 150 km autour de la cimenterie de Bargny. Le coût d’établissement de ces plantations (20 millions d’Euros, soit 1.2 MFCFA par hectare) représente environ 65% de l’investissement total ; il inclut la production de plants en pépinière, le travail du sol et la plantation des arbres.

Ces plantations, d’une superficie comprise entre 300 et 900 ha, feront l’objet de ’partenariats à long terme’ (sur plus de 25 ans) avec les propriétaires fonciers et les collectivités locales, établis dans le cadre d’une ’Charte de Culture de Jatropha’.

Le Jatropha sera cultivé sur des terres pauvres, ’sans couvert végétal significatif’ : on précise qu’il s’agit de terres où on n’observe aucune activité agricole, où la régénération naturelle de la végétation est impossible, où aucun bois n’a été récolté depuis au moins 10 ans pour être utilisé comme combustible et où aucune forêt n’a existé depuis au moins 10 ans.

Sur ces sols, SOCOCIM envisage une production de fruits comprise entre 6 et 10 tonnes par hectare, ce qui correspond à un rendement en graines de 5 t/ha en moyenne, donc parmi les plus élevés observés au monde, qui sera obtenu sans irrigation en dehors des 6 premiers mois et sans aucun apport d’intrant chimique.

Ces plantations offriront du travail aux populations riveraines, qui y trouveront un revenu additionnel estimé, par hectare, à 60% des revenus qu’elles peuvent tirer de l’arachide : sachant qu’avec un rendement moyen de 800 kg/ha et un prix de vente de 400 FCFA/kg, un agriculteur retire de cette production moins de 320.000 FCFA/ha, SOCOCIM se propose donc d’octroyer aux paysans une rémunération comprise entre 35 et 40 FCFA/kg de graine produite.

Des questions en attente de réponses

Les récents évènements de Fanaye ont montré, mais c’est vrai aussi de la plupart des activités minières dans la sous-région, toute la difficulté pour un investissement industriel de contribuer à impulser au développement local une dynamique durable. Il est dommage que des documents importants comme la ’Charte de Culture de Jatropha’ proposée par SOCOCIM et l’Etude Environnementale Stratégique qu’elle a réalisée n’aient pas été rendus publics car ils auraient très certainement enrichi notre réflexion.

Le rapport sur la situation économique et sociale dans la région de Thies, réalisé en 2009, relève que la faible productivité de l’agriculture est due entre autres à la difficulté d’accès au crédit agricole, qui se traduit par un faible niveau d’utilisation d’intrants et un matériel vétuste.

Dans cette région, où est implantée SOCOCIM, la pluviométrie annuelle a très rarement dépassé 600 mm au cours des 15 dernières années. Comment peut-on espérer y atteindre des rendements de 5 t/ha de graines de Jatropha, si les sols sont si pauvres qu’aucune agriculture ne peut y être pratiquée ? On le sait, le Jatropha est très résistant, mais il pousse difficilement sur de tels sols.

En réalisant un investissement conséquent (1.2 MFCFA/ha) on peut probablement redonner vie à ces terres incultes, notamment par la maîtrise les eaux de ruissellement et en réalisant un amendement organique conséquent : la ’pauvreté des sols’ n’est pas un mal incurable. Si on mettait de tels moyens financiers et techniques à disposition des paysans, n’amélioreraient-ils pas leur propre productivité ?

Leur donne-t-on seulement, à ces paysans, la moindre chance de pouvoir développer leurs capacités de production en limitant leur rémunération, et celle de la génération à venir, à une misère ? Certes ils n’auront pas investi dans ces plantations, mais le marché des biocarburants va inéluctablement se développer au Sénégal et déjà certains opérateurs envisagent d’acheter les graines à 100 FCFA/kg pour en extraire l’huile. Quelle sera la frustration des milliers d’exploitants dont les terres auront été affectées à ce projet, lorsqu’ils comprendront le manque à gagner qu’ils vont subir en s’étant engagés à accepter un équivalent de moins de 40 FCFA/kg ?

Au-delà de ces considérations sociales, la rationalité économique sur laquelle repose ce projet n’est pas claire. Quelles que soient les solutions techniques mobilisées, la productivité annoncée des plantations de Jatropha parait irréaliste, et une publication récente de FACT Foundation, qui capitalise plusieurs années d’expérience au Mali, souligne que le niveau de pleine production pourrait ne pas être atteint avant la 7ème année (et non la 5ème comme il est prévu), dans les conditions de production qui sont annoncées (sans apport d’eau, d’engrais chimiques ou de pesticides). On a de la peine à imaginer que les conseillers financiers du groupe Vicat n’ont pas évalué un tel risque...

Où se situe, alors, la rentabilité économique de cet investissement qui en 2007, au moment de sa conception, représentait 12% du chiffre d’affaires annuel de SOCOCIM ? Un chiffre d’affaire qui s’était très rapidement accru, de près de 50%, entre 2001 et 2007...

Le rapport cité plus haut estime que la dégradation du couvert forestier régional (dont la superficie s’est réduite d’environ 5000 ha entre 2000 et 2009) est due non seulement aux coupes frauduleuses et à l’extension des villes, mais aussi aux nombreuses carrières qui freinent l’activité de photosynthèse par le dépôt de poussière sur les feuilles. Une analyse à laquelle fait écho un article publié le 25 février 2011 dans le journal Walfajiri, intitulé "Silence, la SOCOCIM pollue !".

Ne s’agirait-il pas d’une vaste opération de communication internationale pour soutenir le développement de cette entreprise sur le marché sous-régional en mettant en avant son engagement (à venir...) pour la valorisation de sols marginaux et la lutte contre le changement climatique ?

Mais alors, si l’objectif n’est pas de valoriser un capital foncier improductif, dans une démarche de profit partagé entre l’entreprise (qui sécurise son approvisionnement en énergie), les populations locales et l’environnement, mais simplement de satisfaire la boulimie de capitaux de cette entreprise, que deviendront les terres qui auront été affectées à ce projet, et les paysans qui en auront été spoliés ?


publié par   Bruno Legendre
le vendredi 27 janvier 2012
 
 

Contributions

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