par Bruno Legendre,
le dimanche 24 février 2013 à 21h18
Bien sûr que j’ai publié votre réponse, monsieur Prétot !
Pourquoi pensez-vous donc que j’ai écrit cet article si ce n’est pour vous inviter à un débat public ? Je vous enjoins cependant à plus de retenue dans vos propos à mon encontre. Mon objectif, en effet, est d’analyser un projet d’entreprise et la vision que vous proposez du développement rural, et non de porter un jugement de valeur sur une personne.
L’enjeu est trop important, et je crois que vous l’avez mal compris, comme en témoigne votre tentative de clore, par une condamnation, aussi hâtive qu’elle est infamante, de ma compétence ou de ma sincérité, un débat sur les fondements et la viabilité de nos propositions respectives.
Je suis sénégalais, monsieur Prétot. Et je suis préoccupé de l’avenir de mon pays et de celui de mes enfants. Leur famille est constituée pour sa grande majorité de paysans, parmi les plus démunis de ce pays. De ceux, peut-être, dont vous pensez pouvoir améliorer les conditions de vie.
Beaucoup de mes compatriotes me respectent pour avoir débuté et profondément ancré mon activité professionnelle de consultant, que j’ai voulue depuis toujours indépendante afin de pouvoir la consacrer à la promotion des valeurs auxquelles je suis attaché et m’y investir, dans un village à 600 km de Dakar. Ils savent que je n’ai pas l’habitude de prendre la parole à la légère, que je ne trouve aucun plaisir dans de vaines polémiques et préfère me consacrer à tenir les engagements que je prends quels que soient les défis qu’ils posent.
Ceux qui m’ont vu naître, ailleurs, étaient aussi des paysans. De ceux qui ont durement travaillé une terre ingrate pour en faire aujourd’hui la richesse de leurs enfants, de ceux qui on consacré leur vie à ouvrir pour nos générations les portes d’une société qui les avait exclus. Ils ont aménagé des sources pour alimenter leurs maisons en eau, organisé leurs communautés et fondé le crédit agricole, rêvé du miracle de l’électricité, mécanisé leurs fermes, se sont sacrifiés pour donner à leurs enfants l’instruction que, trop pauvres, ils n’avaient pu avoir. Tout cela de la seule force de leur volonté.
Alors, permettez-moi de croire à cette agriculture paysanne, à la richesse de ces terres qui, si elles étaient aussi marginales que l’on se plait à le répéter, ne susciteraient pas autant d’intérêt.
Monsieur Prétot, ce qui nous sépare fondamentalement c’est que je ne parle pas au futur, mais au présent. Je me garde de toute prétention, et rends humblement compte de mon expérience. Que je la partage, ce n’est pas pour promouvoir ma personne : que pourrais-je espérer ? Mais pour inviter d’autres sur le chemin que je pense avoir éclairci : c’est ainsi qu’une société évolue.
J’ai, voyez-vous, pris moi aussi le risque d’investir, car tout comme vous je suis convaincu que seule l’entreprise peut être porteuse de développement. Mais pour que celui-ci soit durable, la capacité de mobilisation de financements ne suffit pas : on pourrait faire l’inventaire des milliards qui ont été engloutis dans ce pays sans pour autant réduire d’aussi peu que ce soit la pauvreté. Ainsi, parce que je pense qu’il est d’autres formes d’investissement, qui doivent être valorisées parce qu’elles font la réussite de l’entreprise, je n’ai pas cherché à imposer, par mon investissement et la technicité que j’apporte, mon contrôle sur celle à la quelle j’ai largement contribué à donner naissance. Dans la société solidaire que j’œuvre à construire, l’argent constitue certes un outil indispensable pour accéder aux multiples ressources qu’offre notre monde, mais en aucun cas l’attribut d’un pouvoir qui écrase ceux qui n’en disposent pas et prétend, par sa seule maîtrise, détenir seul les clefs de leur avenir.
Utopie, direz-vous sans doute, mais voilà quand même ce projet qui émerge, se consolide progressivement et voit aujourd’hui se dessiner concrètement la perspective d’atteindre son équilibre économique.
Je suis bien conscient que cette réalisation est-elle loin encore d’être parfaite et qu’elle ne constitue qu’une pierre, mais je l’espère angulaire, d’un édifice dont la construction ne peut que relever d’un projet collectif.
Je n’ai, lorsque j’en parle, jamais prétendu autre chose que ce que les actes que je pose peuvent prouver. Ainsi je ne dis pas que je vais créer des dizaines de milliers d’emplois, et me garde bien de soulever des espoirs que je ne pourrais satisfaire. Mais grâce à un partenariat actif avec des paysans, des enseignants, et auquel sont en train de se joindre des élus locaux, j’ai créé trois emplois stables, je contribue à la formation technique d’une dizaine de paysans et cette année à l’initiation de plus de 1000 enfants aux richesses qui les entourent, aux principes d’un développement durable et à l’exercice de la démocratie locale.
Sachez enfin que je n’ai pour autant aucune hostilité envers l’investissement industriel dès lors qu’il est respectueux de l’environnement humain, social, culturel, naturel qui l’entoure et qu’il contribue effectivement à le promouvoir au-delà même de ses intérêts propres et immédiats. J’entretiens des relations d’amitié avec des hommes qui dirigent de grandes entreprises au Sénégal, y compris dans le domaine agricole, et je leur voue un profond respect pour la contribution inestimable qu’ils apportent au développement de notre pays.
En attaquant ma personne, vous avez adopté une mauvaise stratégie, Monsieur Prétot. Je savais, depuis notre première rencontre, que votre argumentation n’avait guère de fondements, et j’attendais que vous l’exprimiez publiquement pour pouvoir y répondre.
Je ne vous juge ni ne vous méprise, monsieur Prétot, mais cela ne m’empêche pas de considérer que les approches que vous proposez ne constituent pas une solution pour le développement rural et que vous faites erreur.
Pour conclure, et pour revenir au seul débat qui nous intéresse, juste une question : pour quoi investit-on un million d’euros dans des presses alors qu’il n’existe encore, loin alentours, et sans doute pour plusieurs années encore puisque vous en êtes à solliciter un accès aux terres sur lesquelles vous pourrez planter du jatropha, aucune production de graines pour les alimenter ?
Avouez que c’est intriguant… Mes parents et partenaires paysans seraient tentés de dire, dans leur bon sens, que cela est mettre la charrue avant les bœufs…
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